Guide sommaire sur la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité (LCRMC)
Introduction
La Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité (LCRMC), adoptée par les deux Chambres du Parlement en juin 2021, établit un cadre pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Le Canada rejoint ainsi 15 autres pays et 6 provinces ayant déjà adopté de tels cadres. Le présent guide décrit la progression de la Loi dans le processus législatif ainsi que ses principales caractéristiques et leurs répercussions. Pour comparer la LCRMC à celle d’autres pays, cliquez ici.
Le processus législatif
En novembre 2020, le gouvernement a déposé le projet de loi C-12 afin d’inscrire dans la loi l’engagement du Canada à atteindre la carboneutralité en 2050, et de fournir un cadre de responsabilité et de transparence qui garantirait que le gouvernement fédéral réalise les prévisions, les gestes et la surveillance nécessaires à l’atteinte de cet objectif. En mai 2021, au plus fort de la troisième vague de la pandémie de la COVID-19 au Canada, le projet de loi a été renvoyé au Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes (ENVI) pour étude. Les membres du Comité de différentes affiliations politiques ont renforcé de manière importante le projet de loi de 29 articles en y apportant plus d’une trentaine d’amendements.
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles (ENEV) a entrepris une étude préalable du projet de loi le 7 juin et a tenu 11,5 heures d’audience, au cours desquelles il a entendu 35 témoins représentant 22 groupes et cinq particuliers. Il est à noter que le comité a entendu des représentants de quatre Premières Nations et d’Indigenous Climate Action, tandis que le comité de la Chambre des communes n’a entendu aucun témoin autochtone.
Il y avait un consensus parmi les témoins à l’effet que le projet de loi C-12 était une mesure législative importante et que le Canada avait grand besoin d’un cadre de responsabilité en matière climatique. L’étude préalable du comité a donné lieu à un rapport contenant plusieurs observations pertinentes, mais aucun amendement. Le projet de loi a fait l’objet d’un débat et a été approuvé par le Sénat à sa dernière semaine de séance avant l’ajournement estival, puis a reçu la sanction royale le 29 juin 2021.
Pour en savoir plus sur le cheminement des projets de loi fédéraux, consultez notre guide général sur le processus législatif.
L’objectif de la LCRMC
La LCRMC a pour objet « d’exiger l’établissement de cibles nationales de réduction des émissions de gaz à effet de serre fondées sur les meilleures données scientifiques disponibles et de promouvoir la transparence, la responsabilité et une action immédiate et ambitieuse dans le cadre de l’atteinte de ces cibles (art. 4) ».
Pour ce faire, la Loi fournit un cadre fondé sur la planification, des rapports d’étape et des évaluations effectuées par des tiers et reposant sur des conseils d’experts indépendants. On peut voir toutes ces étapes dans l’infographique suivant, qui montre les mesures officielles à prendre d’ici 2050 aux termes de la LCRMC. La Loi légifère la cible nationale de carboneutralité pour 2050, soit que toute émission anthropique de gaz à effet de serre dans l’atmosphère est entièrement compensée par l’absorption anthropique de ces gaz (art. 2). Toutefois, il est entendu que « la présente loi n’empêche pas le Canada d’atteindre la carboneutralité avant 2050 (art. 6.1) ».
Agir tôt, viser haut
La science du climat est claire : il est impératif d’agir tôt si l’on veut éviter des conséquences désastreuses. Les inquiétudes des experts selon qui la version originale du projet de loi n’allait pas assez loin pour garantir une véritable reddition de comptes avant 2030 ont été entendues :
- L’article énonçant l’objet du projet de loi a été amendé en y ajoutant « une action immédiate et ambitieuse (4)»;
- Le premier plan de réduction des émissions sera publié à la fin décembre 2021, bien que la loi prévoie une prolongation de 90 jours à la discrétion du ministre;
- Un objectif provisoire pour 2026 a été ajouté (9 (2.1));
- Des rapports d’étape supplémentaires seront produits en 2023 et 2025 en plus du rapport d’étape de 2027 (14(1.1)). En outre, le rapport d’étape de 2025 doit contenir une évaluation de la cible de 2030 et énoncer les changements entrepris pour corriger le tir, au besoin, pour atteindre la cible (art. 14(1.2));
- Le commissaire à l’environnement et au développement durable doit déposer son premier rapport au plus tard à la fin de 2024(24(4));
- Un examen législatif parlementaire est maintenant prévu en 2026.
Ainsi, des points de contrôle sont prévus presque tous les ans pour les 10 prochaines années.
La course à la carboneutralité est déjà commencée; il n’est pas question d’attendre 2050 pour agir. Nous devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour concrétiser l’objectif aussitôt qu’il le faut pour accomplir la juste part qui nous est impartie dans l’Accord de Paris, et rien dans la Loi ne nous interdit pareille ambition.
L’établissement de la cible
La Loi codifie la cible d’émissions de gaz à effet de serre pour 2030 en la faisant correspondre à la contribution déterminée au niveau national du Canada qui est prévue pour cette année-là dans le cadre de l’Accord de Paris (art. 7(2)). En juillet 2021, le Canada a revu cette contribution à la hausse en la fixant à une réduction de 40 à 45 % par rapport aux niveaux de 2005. Par conséquent, la cible de 2030 ainsi que celle de 2050 sont maintenant consacrées par la loi.
Pour les années jalons subséquentes, chaque cible doit être fixée au moins 10 ans et 1 mois à l’avance (art. 7(4)). Le gouvernement pourra ainsi amorcer sa planification des futures cibles suffisamment à l’avance, ce qui apportera plus de certitude à l’industrie et lui donnera plus de temps pour sa planification à long terme. En outre, il est maintenant précisé que chaque cible d’émissions de gaz à effet de serre fixée dans le cadre de la Loi doit être une progression par rapport à la précédente, empêchant ainsi le Canada de régresser (art. 7(1.1)).
Qui plus est, le projet de loi exige maintenant du ministre de l’Environnement et du Changement climatique qu’il publie, dans l’année qui suit l’établissement d’une cible pour les années 2035, 2040 et 2045, une description de haut niveau des principales mesures de réduction des émissions que le gouvernement entend prendre pour atteindre cette cible ainsi que les plus récentes projections des émissions annuelles (art. 7(5)).
Par exemple, cela veut dire pour la cible de 2035 que le ministre devra la fixer au plus tard le 1er décembre 2024 et publier la description de haut niveau des principales mesures et des projections au plus tard le 1er décembre 2025. Toujours pour la cible de 2035, le plan détaillé de réduction des émissions doit être prêt au moins cinq ans avant l’échéance, c’est-à-dire au plus tard en décembre 2029 (art. 7(4)a, art. 7(5) et art. 9(4)).
La LCRMC fait explicitement mention de l’Accord de Paris et des engagements internationaux du Canada par rapport aux changements climatiques, mais il faudra sans doute multiplier les efforts pour fixer des cibles qui correspondent mieux à la juste part du Canada dans la réduction mondiale des émissions de gaz à effet de serre.
La production de rapports
La LCRMC prescrit des exigences précises quant au contenu des plans de réduction des émissions, des rapports d’étape et des rapports d’évaluation.
Pour commencer, chaque plan de réduction des émissions doit décrire la façon dont les engagements internationaux du Canada en matière de changements climatiques sont pris en compte. Ensuite, chaque plan doit aussi contenir des projections des réductions annuelles des émissions de gaz à effet de serre résultant de l’effet combiné des mesures et des stratégies annoncées dans le plan. Enfin, il doit contenir un sommaire des mesures de collaboration ou des accords avec les provinces ou d’autres gouvernements du Canada (art. 10(1) – en particulier a.1, b.1, e, f, g). De surcroît, lorsqu’il prépare le plan, le ministre doit prendre en compte la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ainsi que l’avis de l’organisme consultatif sur la carboneutralité (art. 9(5)).
Des experts déplorent que la Loi n’impose pas en soi l’obligation d’atteindre les cibles et qu’elle ne prévoie aucune conséquence en cas d’échec, outre d’avoir à expliquer les raisons de cet échec et à proposer des correctifs (art. 16). Néanmoins, elle prévoit un processus qui est juridiquement contraignant. De plus, la version anglaise de l’article 9(1) précise que le ministre doit préparer un plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre chaque cible, ce qui sous-entend, au minimum, une obligation de planifier la réussite des objectifs fixés.
De même, les rapports d’étape (art. 14(2)) et d’évaluation (art. 15(2)) doivent comprendre les dernières projections d’émissions de gaz à effet de serre publiées pour le Canada pour la prochaine année jalon ainsi que les détails de toute mesure additionnelle qui pourrait être prise pour augmenter les chances d’atteindre la cible, si les projections indiquent que la cible ne sera pas atteinte.
Le Groupe consultatif pour la carboneutralité
Le Groupe consultatif pour la carboneutralité (le Groupe consultatif) a été constitué par le ministre de l’Environnement en février 2021, avant que la LCRMC entre en vigueur. Le Groupe consultatif a pour mandat de mener des activités de sensibilisation et de conseiller le ministre en ce qui concerne les cibles, les plans et tout autre sujet lié à la réduction des émissions sur lequel il est prié de se prononcer. Si la plupart des autres cadres nationaux de responsabilité reposent principalement sur la crédibilité d’un organisme consultatif composé majoritairement de scientifiques, le groupe initial est formé de parties prenantes plutôt que de scientifiques.
Les amendements adoptés précisent que le Groupe consultatif fournit des « conseils indépendants » sur l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050 ainsi que sur les cibles et les plans (art. 20(1)).
En ce qui concerne la composition de l’organisme consultatif, la Loi exige que le ministre de l’Environnement et du Changement climatique prenne en considération le fait que l’organisme a, dans son ensemble, l’expertise et les connaissances dans les domaines que sont la science des changements climatiques, les connaissances autochtones, les sciences physiques et sociales, les politiques nationales, infranationales et internationales en matière de changements climatiques, l’offre et la demande énergétiques ainsi que les technologies pertinentes (art. 21(1.1)).
Ces exigences d’indépendance et de savoir sont considérées comme étant des « pratiques exemplaires » internationales. Cela dit, le rapport du comité ENEV souligne, à juste titre, que cet organisme doit aussi jouir d’une indépendance administrative, être maître de son budget et disposer de son propre secrétariat.
Conformément à ses objectifs de transparence et de responsabilité, la LCRMC oblige le ministre de l’Environnement et du Changement climatique à publier le rapport de l’organisme consultatif dans les 30 jours suivant sa réception et à y répondre publiquement dans les 120 jours. De plus, dans sa réponse, le ministre est tenu de justifier tout écart entre la cible qui a été fixée et celle que l’organisme consultatif avait recommandée (art. 22(2)).
Les droits des peuples autochtones et leur participation
Une série d’amendements au projet de loi est venue renforcer la participation des peuples autochtones. Par exemple, le préambule énonce maintenant que le gouvernement du Canada est déterminé à tenir compte des connaissances autochtones dans la réalisation de l’objet de la Loi. D’autres amendements exigent du ministre qu’il tienne compte du savoir autochtone dans l’établissement des cibles de réduction des gaz à effet de serre (art. 8(c)) et qu’il prenne en considération le fait que l’organisme consultatif doit avoir, dans son ensemble, une expertise découlant de connaissances autochtones (art. 21(1,1)b)). Les plans de réduction des émissions doivent aussi prendre en compte la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (art. 9(5)).
Autres responsabilités
Le commissaire à l’environnement et au développement durable (le CEDD) fait partie du Bureau du vérificateur général du Canada, un agent indépendant du Parlement. Habituellement, le CEDD effectue des études et des enquêtes, pour en faire rapport, sur une diversité de sujets liés au développement durable. La LCRMC raffermit les pouvoirs du vérificateur général en obligeant le CEDD à examiner au moins tous les cinq ans, pour en faire rapport, « la mise en œuvre des mesures entreprises par le gouvernement du Canada pour atténuer les changements climatiques, incluant les initiatives visant à atteindre la cible en matière d’émissions de gaz à effet de serre la plus récente, mentionnée dans le rapport d’évaluation visé (art. 24) ».
Le ministre des Finances doit préparer un rapport annuel portant sur les principales mesures entreprises par le gouvernement pour gérer ses risques et occasions d’ordre financier liés aux changements climatiques (art.23). Le rapport doit être rendu public. Cette obligation entrera en vigueur plus tard que les autres dispositions de la LCRMC, au moment choisi par le gouvernement (art. 29).
Conclusion
Le projet de loi C-12, déposé en novembre 2020 et ayant reçu la sanction royale en juin 2021, arrive tardivement dans le contexte des lois sur la responsabilité climatique qu’ont adoptées d’autres pays et compte tenu de l’urgence d’agir. C’est pourquoi le gouvernement du Canada devra faire preuve du plus grand sérieux pour ce qui est de fixer et d’atteindre ses cibles, pour le bien des générations d’aujourd’hui et de demain.
La mise en œuvre de ces principales caractéristiques sera importante, puisque le Parlement aura la chance d’examiner la Loi cinq ans après son entrée en vigueur. L’examen sera mené par le comité concerné du Sénat, de la Chambre des communes ou des deux (art. 27.1). Le public, les experts et les parlementaires auront l’occasion d’examiner et d’évaluer l’efficacité de la Loi en s’appuyant sur cinq années d’expérience et seront à même de formuler des recommandations pour améliorer le cadre.